1963 - 2013 : les 50 ans de l’Instamatic et du format 126

Distribué avec l'accord du Musée suisse de l'appareil photographique Vevey et des auteurs, collectivement titulaires du ©.
Reproduction (même partielle) uniquement avec citation des sources.
Après une longue pause en matière de nouveaux formats, le géant jaune et rouge sort ce format 28 mm x 28 mm, sur film 35 mm à perforations spécifiques d'un seul côté, conservant un dos papier.
Outre la cassette '' qu’on laisse tomber dedans '', Kodak lance l'appareil qui va autour : l'Instamatic !
Voyons le contexte : c'est l'époque à laquelle Ciba Photochimie commercialise son Cibachrome et celle où le Dr. Land lance son Polacolor. Celle également du début de la montée en puissance des reflex 24 x 36 petit format, en particulier sous l'impulsion de l'industrie japonaise.
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La cassette 126 |
La cassette est asymétrique, on ne peut même pas l’introduire à l’envers ! Simple de chez simple dirait on aujourd'hui. Plus besoin de charger une cartouche 135 en glissant son amorce dans une fenteen faisant coïncider les perforations avec les dents d’entraînement, plus de film qui se décroche sournoisement, plus de perforations arrachées ; plus de rembobinage. Ni de gêne de devoir demander au marchand-photographe de "mettre le film" ou, dans les cas critiques, de le prier de l'extraire en chambre noire parce que, mal engagée, la pellicule est coincée dans le boîtier …
Un film ...
L'Instamatic, c'est donc d'abord un format de film et une astuce que l'on appellerait aujourd'hui "user friendly". Le génial inventeur de cet objet s’appelle Hubert Nerwin et le brevet n° 3.138.081, déposé le 2 janvier 1962 et délivré le 23 juin 1964 pour un Roll Film Magazine. Le nom de code original était "Kodapak". Sans faire partie du brevet déposé pour la cassette 126, une particularité échappait certainement à l'utilisateur: en cours de fabrication du film 126, une bande noire entourant chaque futur cliché était pré exposée (flashée), dans le but de faciliter ultérieurement un tirage automatique plus précis. Un négatif exposé 126 ne ressemble donc pas à celui d'un film 135 ! Un précurseur du système DX sur les cartouches 135 permettait à certains des appareils Instamatic de reconnaître la sensibilité du film et donc d'adapter leur posemètre ou la vitesse de déclenchement en conséquence.
Rapidement plusieurs fabricants d’émulsions mirent sur le marché leur propre production de 126. Mais pour vendre un maximum de pellicules et multiplier habilement son profit, Kodak introduisit le système ''bonus'', consistant dans certains pays à livrer gratuitement, en plus du tirage commandé, un tirage un peu plus petit qui pouvait être remis à une autre personne. Cette logique de partage (j’en veux aussi une !) conduisit, comme espéré, à une augmentation substantielle des retirages supplémentaires !
Les cassettes 126, qui offraient le choix entre 12 et 20 poses au début, finirent par n'être commercialisées qu'en 24 poses. Elles se déclinèrent tant en négatif qu'en réversible, en couleur pour l'essentiel, mais aussi en noir et blanc. Durant 36 ans, on trouva toutes sortes de sensibilités et diverses émulsions. Chez Kodak : du Kodachrome 64 au Kodacolor Gold 200; de l'Ektachrome 64 au Kodacolor VR 200 (technologie aux grains T); sans oublier le bon vieux Verichrome Pan noir/blanc.
Quant aux autres marques elles étaient largement représentées : Perutz, Agfa et Agfa Gevaert, Fuji, Ansco et Ferrania, cette dernière ayant été la dernière à offrir du format 126, jusqu'en 2007, bien au delà du retrait officiel de Kodak le 31.12.1999. D'autres marques moins connues (Mondika, Trifca, Phokina, Extrafilm), ainsi que des sous marques (p.ex. Boots au Royaume Uni), offraient du 126.
Les sensibilités commercialisées allaient de 64 à 400 ISO.
... et des appareils
Le succès de la pellicule fut tel que de nombreux fabricants d'appareils durent acheter la licence du nouveau format. De A comme Agfa à Z comme Zeiss Ikon, en passant par Braun, Canon, Konica, Minolta, Ricoh, Rollei, Voigtländer ou Yashica et bien d’autres encore.
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Les premiers appareils Kodak, comme l’Instamatic 50 (ci-dessus) de 1963 ou le modèle 100 étaient à l’image de leur cassette : simplissimes.
Pratiquement une seule vitesse (env. 1/90ème), une focale fixe, généralement 43mm, une ouverture, f.11 la plupart du temps. L’objectif ménisque fournit une image très acceptable, largement suffisante pour les tirages jusqu'au format 'carte postale' du grand public. Il fallait un peu de lumière du jour ou alors avoir recours à un accessoire flash externe (modèle 50) ou à une ampoule à clipser dans un flash rétractable (modèle 100); dans ce cas la vitesse était réglée (manuellement ou automatiquement) à env. 1/40ème.
Puis viennent les perfectionnements. La cellule apparaît sur le modèle 300; le moteur à ressort équipe le 400, le X 45 plus tard ainsi que le Ricoh 126C. Le modèle 500, fabriqué en Allemagne entre 1963 et 1965, coûte 94,50 USD, l'équivalent de CHF 450.- à l'époque un Pentax Spotmatic coûtait CHF 650.-. Un appareil haut de gamme, avec son optique Schneider 2,8/38 mm, son Compur au 300ème et ses multiples fonctionnalités (cellule Gossen, correction de parallaxe, détection automatique de la sensibilité du film, etc.); il est d’une finition exemplaire.
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Instamatic 500 made in Germany |
Mais ce petit bijou (pour l'époque !) souffrira, comme tous les autres, du défaut majeur de la cartouche 126 : l’absence de presse film réellement efficace, responsable de flous aléatoires sur l’image. Nous n'avons pas trouvé trace de tentatives visant à surmonter cette faiblesse.
Les reflex constituent le sommet de la gamme 126. Le premier d’entre eux, le Keystone K 1020 fabriqué au Japon en 1966 est à objectif fixe et dispose de deux vitesses et d’une cellule au sélénium. Il sera suivi en 1967 du Zeiss Contaflex 126 avec ses 4 objectifs de 25 à 200 mm, du Rollei SL 126 (le plus cher du lot) et de l’Instamatic Reflex en 1968 qui recevait les mêmes optiques que le Retina Reflex. Le dernier de la liste est le Ricoh 126C Flex, vendu aussi sous les marques Sears ou Revue.
Petite anecdote : Rollei avait, sur le coûteux SL 126, oublié d’installer un interrupteur pour la cellule, ce qui imposait soit de recouvrir l’objectif quand on ne l’utilisait pas, soit de retirer la pile pour éviter qu’elle ne se décharge prématurément. Agaçant, non ?… Livré en version noire, cet appareil a aussi été fabriqué en version chrome à 30 exemplaires, dont la plupart furent détruits, la qualité du chromage n’étant pas suffisante pour les standards de la marque. Amis collectionneurs, si vous en croisez un…
Autre particularité introduite par la cassette 126 (reprise également pour le 110) : la possibilité de se passer d'un boîtier. Comme sur ce sympathique Tekinha brésilien, en quelque sorte un demi appareil où c'est la cassette 126 qui sert de boîtier !
Tout simplement, sont ajoutés sur la cassette les éléments assurant l'avance du film et la prise de vue (optique et obturateur), la cassette étant alors directement prise en main par le photographe.
A côté de tous ces modèles populaires ou sophistiqués, de nombreuses marques utilisèrent le 126 pour des appareils jouets ou représentant des personnages de bande dessinée (Bugs Bunny Camera, par exemple, voir image)
ou encore pour du matériel de promotion commerciale bon marché, comme le Pipo, qui ressemble étrangement au très joli Hello Kitty, cadeau pour enfants gâtés, sorti en 1981.
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Bugs Bunny Helm Toy Corp (NYC) / fabriqué à Hong Kong; ici avec un flash Instamatic sur son mât rotatif. |
enfin : des accessoires
On le sait, les photographes, même basiques, aiment beaucoup les accessoires ! Il en fut proposé… mais finalement assez peu. Kodak vendait deux statifs de reproduction avec bonnette fixe, l’un au rapport 1:3 et l’autre au rapport 1:2 pour l’appareil Instamatic 304. Un dispositif semblable existe aussi pour les 133, 233, etc. également au rapport 1:3. Un petit miroir intégré dévie la lumière du flash de l’appareil sur le sujet.
Des compléments optiques grand angle et télé, avec leur viseur de cadrage accouplé, existent aussi. Fabriqués au Japon par Sedic ou Hidenon, ils se clipsent sur l’objectif.
Un support enserrant l’appareil (Stabilo Fix pour les modèles 50 et 100, made in Germany) comporte un écrou de pied (¼) dessous et un filetage pour déclencheur souple dessus. Etrange, puisque ces deux appareils ne disposent pas de la pose B…; simple astuce pour assurer une stabilité supplémentaire ? On trouve aussi des prolongateurs de flash cubes, petits mâts éloignant le cube de l’axe de prise de vue, diminuant, peut être, le risque d’yeux rouges. Ceux ci furent aussi offerts ensuite avec les appareils au format 110.
Des fabricants indépendants proposèrent des sacs étanches pour la plongée sous marine à faible profondeur.
Quant à l’Instatech Close up Scientific Photo Outfit, ce n’est plus vraiment un accessoire, mais bien un ensemble dédié à la photo en gros plan (entre 5 et 10 cm de l’objectif, environ) à usage scientifique. Il se compose d’un appareil modèle 100, de deux cadres de visée et de leurs bonnettes, d’une chaînette à boules (comme le Minox) pour déterminer la distance de prise de vue lors de l’utilisation sans les cadres, ainsi que de 4 flash cubes Sylvania, en faisceau, pour éclairer le sujet.
Un jalon dans l'histoire de la photo
L'Instamatic Kodak n'en reste pas moins un grand succès commercial en petit format; mais le format 126 n'a pas détrôné les films 135 et il aura disparu bien avant lui. Rappelons l'évidence: le 126 est un format carré et c'est un choix; certains photographes n'aiment pas; d'autres ne jurent que par lui.
Kodak a produit 10 millions d'Instamatic 126 et même 50 millions d'exemplaires, toutes versions confondues (le format 110 a connu lui aussi un grand succès commercial). Et les pellicules écoulées l'ont été certainement par centaines de millions durant 36 ans de présence du 126 sur le marché. L'Instamatic a certainement aidé les marchands-photographes en dopant leur volume d'affaire durant les années de boom économique et démographique, que ce soit par la vente d'appareils ou par leur marge sur le traitement et les recommandes. Inutile de préciser que le 126 n'a jamais attiré les professionnels restés fidèles au moyen format ou au 24 x 36 exposés dans de bons appareils télémétriques ou reflex.
Néanmoins, dès les années 1980, les progrès de la miniaturisation, de la motorisation et de l'électronique ont vu fleurir des compacts utilisant la cartouche 135 tout aussi user friendly que la cassette 126 et aux résultats bien meilleurs. L'introduction du film devint elle aussi automatique (et assez fiable), ainsi que son rembobinage. Ces nouveaux compacts étaient généralement équipés de dos presseur efficaces assurant la planéité du film. Les meilleurs étaient aussi dotés du système de codage DX reconnaissant la sensibilité et bénéficiaient du résultat de toutes sortes d'avancées technologiques en matière de mesure de la lumière, de mise au point automatique (autofocus) et d'optiques zooms en particulier. Cette nouvelle génération a certainement contribué à rendre le 126 moins attractif à la longue.
Fin des années 1990, peu avant le retrait du format 126, Kodak offrit son dernier format, l'APS, qui concurrença directement le format 126 introduit en 1963 et remporta un succès mitigé. Lui aussi disparaitra assez rapidement (après 15 ans à peine), alors que le 135 et le moyen format semblent avoir quelques années encore devant eux.
Notons encore l'inconvénient du format 126 pour l'exploitation par scannage de vieux négatifs ou diapositives d'archive. En effet un appareil dédié de précision pour le format 135 (passe bande et dias) ne peut pas scanner complètement une image 28 x 28, la largeur de la fenêtre de scan étant de 24 x 36 mm. Par contre un scanneur à plat de bonne qualité, avec dos éclairant, fait l'affaire.
Une qualité qui défie le temps : diapositive 5 x 5 de 1963 tous les projecteurs 24 x 36 convenaient. (Sujet : Suède) |
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Deux mots enfin sur Kodak.
Avec ses laboratoires de développement européens à Lausanne, Kodak a certainement profité à l'emploi et à l'économie de cette région de Suisse; mais il est difficile d'évaluer l'impact d'un format parmi d'autres, d'autant que Kodak développait aussi, à Renens, à côté de Lausanne, le film cinéma (8, super 8 et 16 mm).
Avec le recul, Kodak ayant déposé son bilan, il faut reconnaitre que pendant plus d'un siècle cette compagnie a investi dans l'innovation, mais aussi bénéficié de rentes bien établies avec des produits éprouvés. Aux différentes époques, cette entreprise voyait loin, un peu à l'image d'un Apple™ au tournant du XXème / XXIème siècle. Leur stratégie commerciale était forte et agressive : s'attacher le client en vendant les intrants (films) puis le matériel (appareils) et enfin les services qui vont avec (développement, tirages, agrandissements). Et, comme on le sait aussi, en adaptant le prix des produits au pouvoir d'achat des clients; le même film ne coûtait pas le même prix selon les pays et Kodak s'opposait fermement aux importations parallèles.
Hélas, et indépendamment de la fin de Kodak, nous savons tous que la fin du film, en tous les cas dans ses déclinaisons populaires, est due à la concurrence définitive de l'image digitale....
Mais ceci est une autre histoire.
Jean Jacques Crausaz / Jacques Martin