
Qui était Hanns Porst ? (Présentation extraite du catalogue de 1955)
Il était une fois, il y a trois décennies et demie, dans la ville bénie de Nuremberg, sur la Pegnitz, un petit employé de chancellerie qui gagnait 120 Mark par mois. Ce n'était pas beaucoup, certainement pas de quoi sauter de joie. Mais il possédait un appareil photo qu'il aimait par-dessus tout et qu'il remerciait pour les plus belles heures de sa jeune vie. Le soir, à la lumière rouge rubis de la chambre noire, quand il voyait les images apparaître d'elles-mêmes sous ses mains prudentes, pour rien au monde il n'aurait échangé sa place contre celle de son roi. Et surtout pas contre celle du secrétaire municipal, car il n'avait pas d'appareil photo. Bientôt, la première Grande Guerre déferla sur le pays et notre assistant de chancellerie devint un soldat comme des millions d'autres. Mais son appareil photo était son plus cher compagnon. Sous les pluies de balles et les orages d'acier, ce dernier lui resta fidèle, jusqu'à ce qu'un jour, retentit un coup de feu destiné à son propriétaire. L'appareil lui sauva la vie en donnant la sienne. Le jeune soldat prit alors l'heureuse décision de mettre sa vie au service de la photographie et au service de ceux dont l'existence est rendue plus belle grâce à la photographie. De retour de la guerre, il ouvrit le plus petit et le plus jeune magasin de photographie de la grande et vieille ville de Nuremberg - les poches vides, mais le cœur vaillant. Sachant réaliser tous les souhaits liés à la photographie, il gagna rapidement la confiance des nombreux amateurs éclairés qu'il a conseillés avec justesse et servis avec attention. Pour ces gens heureux, il n'y avait désormais pas plus grande joie que de recommander l'homme qui exauçait leurs désirs secrets. Hanns Porst Grâce aux clients satisfaits, sa petite entreprise devenait en une douzaine d'années...
Du rédacteur au vendeur en gros Ainsi la plus grande maison de photo du monde est née. Printemps 1919. La première guerre mondiale est finie.
Désormais, il pouvait mettre au service de ses clients ses longues années d'expérience amateur et les connaissances acquises par l'étude d'ouvrages spécialisés. Il se créait ainsi un cercle de plus en plus important d'amis. Les habitants de Nuremberg ne visitent personne à moins qu'ils ne le connaissent ", pensait Hanns Porst. Un jour, il eut une idée de publicité originale.
Il sollicitait ses amis et une nuit, ils partirent, armés de pochoir, de peinture et de pinceaux pour "défigurer" la ville de Nuremberg. Le nom de Porst était peint soigneusement avec une peinture durable sur les trottoirs et les chaussées. Le lendemain, les habitants de Nuremberg ne parlaient plus que de Porst. La police naturellement aussi et cette publicité lui coûta une grosse amende. Désormais de l'aube au soir, Hanns Porst était debout. Il était tout à la fois vendeur, comptable, téléphoniste, correspondant et patron. Bien sûr, la petite boutique de la Lauferplatz devint rapidement trop petite. Hanns Porst se déplaça pour la première fois, dans un nouveau magasin, plus grand, auquel il apporta beaucoup de soin et de goût. "Je suis responsable de mes clients ! Vous devriez savoir que votre visite est une fête pour moi! "disait-il. En 1924, Hanns Porst risquait un premier grand saut, il achetait un grand magasin situé derrière l'église Lorenz, avec 11 larges vitrines. On aurait pu penser que c'était la fin de sa croissance, alors qu'elle ne faisait que commencer. Lentement, à peine remarquée du public, une belle plante s'épanouissait : la vente par correspondance. Cela vint comme ceci : chaque année, Nuremberg, le joyau de l'empire allemand attirait des milliers de visiteurs. Les uns ou les autres venaient - au début absolument par hasard - dans le petit magasin d'Hanns Porst. Lorsque des jours ou des semaines après, ils se retrouvaient chez eux, ils se souvenaient de l'homme aimable qui se trouvait à Nuremberg et auquel ils avaient fait confiance. Ainsi, il arrivait que de plus en plus de clients extérieurs écrivaient à Hanns Porst pour lui confier leurs besoins en photo. Alors, Hanns Porst a conseillé ses clients extérieurs comme ses clients de la ville. Dans ses lettres, il discutait avec les clients. Pas étonnant que les clients des courriers à Porst, que la photo rapprochait, étaient enthousiasmés. Nous voyons que la vente par correspondance se développait suite à la qualité de l'accueil en magasin. "Mais non, pas cent, pas cent mille, je veux que tout le monde sache !" disait Hanns Porst, et bientôt, on voyait dans les magazines, la première des petites annonces Photo-Porst, qui nous sont désormais familières. Mais déjà à l'époque, Hanns Porst savait très bien que vous ne pouvez pas maintenir un service à la clientèle à long terme seulement avec des annonces dans les journaux et un catalogue.
Il se confirmait donc qu'il était vraiment né coiffé et qu'à la longue la fortune ne sourit qu'aux audacieux. A peine avait-il engagé la lutte contre l'injustice de l'après-guerre, qu'il pouvait serrer dans ses bras son fils HannsHeinz, rentrant à l'improviste. Outre sa propre énergie et son incomparable expérience, Hanns Porst pouvait désormais profiter aussi de l'ardeur titanesque de son fils dont il fit son (unique) associé. En déblayant pour reconstruire les locaux de Photo-Porst, ils découvrirent des boîtes avec les adresses de 130 000 anciens clients. Dans l'enfer des bombardements, la maçonnerie, en tombant, avait protégé ces adresses des flammes. "Prenez-les toutes" dit Hanns Porst à l'époque, "il me reste l'amitié et la fidélité de centaines de milliers que j'ai bien servi. Ceci est mon capital". Avec ce capital, Hanns Porst et Hannsheinz Porst allaient vers la réforme monétaire de 1948. L'industrie livrait les premières caméras. Les affaires repartaient. Aujourd'hui, avec plus de 1000 collaborateurs, Photo-Porst est fier d'être depuis longtemps la plus grosse maison de photo du monde. |
Les marques
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Les catalogues Porst / Porst Katalog
Un jour chez Photo-Porst (catalogue 1933)
Là-haut, au quatrième étage, au département de la correspondance, la lettre d'accompagnement est en cours de rédaction. Ce ne sont pas seulement les lettres au sujet des catalogues qui y sont écrites, mais toutes les lettres aux clients, en général. Là-haut, les dactylographes de presque tous les départements sont réunies, car le son obsédant de leurs machines ne doit pas déranger le reste du personnel et entraver le travail. C’est comme des coups de marteau ! Comme les mitrailleuses dans un film. Et pourtant quand la porte de la "Korre" s’ouvre, il n’y a seulement que des machines à écrire claquant, leur grand nombre donnant l’impression d’un entrepôt d’usine.
La déception est facilement surmontée par la belle vue de quelques centaines de petits doigts soignés frappant à une vitesse vertigineuse les lettres amicales que chaque ami de Photo-Porst connaît. Le département de la correspondance écrit chaque année des centaines de milliers de lettres. Oui, des centaines de milliers. Rien n’est épargné pour conseiller les clients et répondre à leurs souhaits. Ils sont maternés.
Tout près, à côté du local mystérieux, se trouve "l'Expédition des lettres". Ici est apportée pour envoi la lettre de réponse qui a été finie entre temps. Il est procédé à la vérification de son contenu, pour savoir si tout ce qui le client voulait s'y trouve bien, si toutes les brochures demandées sont rassemblées. Une lettre Photo-Porst doit apporter de la joie et non de la frustration. Alors seulement, si tout est en ordre, le cachet rouge „Wer photographiert, hat mehr vom Leben !" est apposé sur la lettre.
C'est un service très intéressant où tous les échanges de correspondance de Aix-La-Chapelle jusqu'à Zynodczytz (Oberschlesien) sont soigneusement conservés dans de belles chemises.
Si vous avez besoin d'elle, il est alors naturellement pas possible de la retrouver. Et la correspondance avec les clients est souvent nécessaire. Les appareils et accessoires usagés sont stockés dans un entrepôt afin d'être vendus comme "occasion". (Naturellement, on parle du contenu et non de l'entrepôt comme "occasion")
De belles choses se trouvent là, n'ayant "d'occasion" pas grand chose à voir, mais la meilleure surprise, le clou du spectacle, est la liste des prix. Le coeur des connaisseurs se remplit d'allégresse parce que les bonnes affaires ne demandent qu'à se retrouver sur les rayonnages comme dans un grand magasin. Les amateurs de photo désargentés, soit à peu près tous, sont attirés comme une abeille par une tartine de miel.
Les bonnes affaires des bons appareils sont forcément très actives, et il peut même arriver que les ventes d'occasion d'un modèle dépassent celles des nouveautés.
Ce serait magnifique que d'être autorisé à se promener tranquillement dans cet entrepôt, montagne d'or d'une chambre forte photographique et d'en sortir lourdement chargé. Le rêve de tous les amateurs de photo...
C'est bien dommage, mais il faut bien facturer tout cela. Alors tant qu'à le faire, autant le faire bien, n'est-ce pas ? D'une voix indignée, les contrôleurs se demandent si vraiment rien n'a été oublié de ce que son altesse le client a désiré, si les Film-Pack ont un nombre de plans correct, si la pellicule en rouleau ne risque pas d'être trop grande pour l'appareil du client. Toutes les réclamations sont préparées par la secrétaire particulière du chef et sont transmises à Monsieur Porst pour trouver une solution. Chaque plainte, même la plus petite est suivi avec attention.
Et c'est essentiel, car les clients contents sont des clients fidèles, et des clients fidèles c'est la colonne vertébrale d'une maison de vente par correspondance !
Chaque midi, à 12 heures précises, la grande voiture rouge de la Poste apparaît. Bien sûr Photo-Porst a sa propre tournée. Sur de longues rampes, le paquet arrive facilement dans la voiture et part immédiatemment à la poste. Mais le service d'expédition continue à produire de nouveaux paquets en quantité non négligeable. Naturellement, ces petits nouveaux doivent aussi tous aller à la poste, et des fourgonnettes Photo-Porst, sur la route de l'aube au crépuscule, s'en occupent.
Veuillez m'excuser que je ne referme pas la présentation maintenant, puisque les parties de l'entreprise qui ont été concernées par la chère lettre du client sont maintenant dépeintes. Mais pourtant, il reste certaines choses devant lesquelles ma machine à écrire ne peut rester insensible : Les employés trouvent au réfectoire, une nourriture bonne et bon marché, particulièrement pour les apprentis, qui recoivent un déjeuner avec trois plats, pour 22,5 pfennig, avec l'aide d'une contribution de la part de la société. Et il y a quelques apprentis en pleine croissance, qui sont rassasiés après l'absorption de leur repas.
Last, not the least, la chambre noire.
Hanns Porst a acheté pour sa chambre noire, tout ce qui se fait de plus moderne et de plus productif sur le marché. Pour lui le meilleur a toujours été ce qui lui semble bon. |
Les locaux à Nuremberg avant-guerre• Le premier magasin, en 1919
• Le second magasin, du 18, Hauptmarkt Strasse • En 1924, Porst achète un très grand magasin (avec 11 vitrines !), situé Lorenzenplatz • En 1927, le bâtiment de la Bergauerplatz est reconstruit.
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Les locaux à Nuremberg après-guerreA défaut de réel logo, Porst utilisera comme substitut des images de ses locaux, ventant ainsi une puissance proportionnelle à la surface de ceux-ci. On peut également y voir le symbole de la fierté du décollage économique de l'Allemagne.En rangeant chronologiquement les catalogues, on peut suivre l'expansion du siège de la société.
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Les locaux à Nuremberg en juillet 2022
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L'intérieur des locaux
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Intérieur du magasin d'Hauptmarkt 18 en 1925 |
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Atelier de réparation en 1952 |
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Les (étranges) véhicules Photo-Porst
Camionnette 1929 Magnifique Combi type 2 en 1951 Camion 1952 et sa remorque en forme de Box Agfa.
Camion en 1953, sur la base d'un bus Man MKN, de 1951. Moteur de 8 litres, pour 120 chevaux. Nez "alligator". Il a un compartiment à bagages sur le toit.
Camion de 1955, sur la base d'un bus Büssing, accompagné de son extension, reliée par un soufflet.
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Dans les catalogues du début des années 60, Porst cite un article du Spiegel, tout à son honneur. On verra que quelques années plus tard, après la découverte des idéaux politiques du fils, le Spiegel sera moins positif.
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Une visite de la maison PHOTO-PORST (catalogue 1960)
Dans l'attrayant espace d'accueil se rencontrent d'innombrables "Photo-Porst Freunde" (littéralement les amis de Photo-Porst), de tous horizons.
Tout d'abord, soyez les bienvenus chez Photo-Porst ! Quand vous viendrez à Nuremberg, téléphonez-nous depuis la gare : composez le 5-4-3-2-1, Photo-Porst se fera un plaisir de vous envoyer une voiture qui vous conduira à notre maison d'expédition rue Veilhof, entre la rue Voigtländer et la rue Zeiss.
Maintenant, nous allons monter l'escalier, traverser l'immense centre téléphonique avec sa "pièce de mise en relation" (ainsi nommée en raison de la présence du standard automatique permettant l'interconnexion entre plus de 300 lignes internes, pour nous rendre dans le bureau personnel du consul Hanns Porst, lequel va nous recevoir avec sympathie et amabilité puis nous guider dans le labyrinthe que constitue le complexe Photo-Porst.
Mr Kraft, qui nous a rejoints, a un autre avis sur la question : de son point de vue de directeur des ventes, sans vente il est impossible de générer un flux financier. C'est pour cette raison que la direction des ventes serait de loin la section la plus importante de la maison Photo-Porst (ainsi pense Mr Kraft). Cependant, quand Hannsheinz Porst demanda "et à qui vendons-nous ?", tout le monde fut d'accord pour dire que le plus important était de choyer les clients de Photo-Porst : leurs commandes nous apportent notre pain quotidien et leur amitié fait notre joie.
C'est ainsi que chaque "Photofreund" est guidé et conseillé en particulier, comme si Photo-Porst n'existait que pour lui, et lui seul. Il arrive aussi qu'un client nous ayant exposé ses besoins, acquière la conviction suivante, en lisant les premières lignes d'une lettre de Photo-Porst : Photo-Porst reçoit tes souhaits avec une joie toute personnelle. C'est pour cela que le département des Conseillers Techniques Spécialisés et des Correspondanciers est vraiment le plus important de toute la maison (pense le Directeur du service, Mr Weber).
Dans le nouveau bâtiment administratif de 7 étages se trouve également une agréable salle-à-manger, destinée aux employés. A côté se trouve une grande salle, tout autant claire et accueillante. De prime abord, on pense avoir atterri dans une école moderne, mais il s'agit en fait d'une des salles de classe de la maison Photo-Porst. C'est ici que sont informés les employés de toutes les nouveautés dans le domaine de la photographie et des émulsions. C'est ici aussi qu'ont lieu les formations pour les correspondanciers, où le maître-mot est : amabilité ! |
"Photo-Porst arrêté"Une du "Bild Zeitung" du 13 mai 1964.
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Porst, membre du SED, à Moscou :"J'aime et j'ai besoin de la réussite". |
"C'est vrai" dit-il maintenant dans le Spiegel (voir page 29), "Je suis millionnaire et marxiste". J'étais simultanément membre du FDP et du SED (Sozialistischen Einheitspartei Deutschlands). J'ai donné de l'argent au FDP pour la campagne électorale et versé ma cotisation au SED. Je vis ici et j'ai eu des discussions politiques de l'autre côté.
Il est paradoxal, semble schizophrène : Dans la personnalité de Hannsheinz Porst, il y a la division allemande et une audacieuse volonté de vouloir combler ce fossé à lui seul. Il s'implique à l'est comme à l'ouest. L'homme, qui pensait à Marx et qui brassait des millions, voulait comme il le disait, « être pris au sérieux des deux côtés ».
Porst a construit à l'Ouest un petit empire financier (avec un chiffre d'affaire annuel de 145 millions) - la dernière année il a généré trois millions de marks de profit – tout en payant régulièrement sa cotisation au SED : 400 marks par mois.
Il vendait aux Allemands de l'Ouest des appareils photo et du café, et offrait à l'Est une aide pour faciliter la compréhension des actes politiques de la République Fédérale.
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Médaille est-allemande : pour un millionnaire |
Il était le vice-président de la circonscription du FDP en Moyenne-Franconie et maintenait le contact avec la tête du parti – il tutoyait Erich Mende – tout en s'asseyant à la table du général de division Markus Johannes Wolf du ministère de la sécurité d'état (MfS - Stasi). Le hasard veut que le fils cadet de Porst s’appelle Markus, comme Wolf, mais aussi comme l’aîné d’Erich Mende.
Porst achetait des appareils photos bon marché au Japon pour ses clients, une Ford en Amérique, avec une ristourne de 800 dollars, pour lui-même, et à Budapest et Moscou, il bavardait en secret avec des hommes des services de sécurité de la RDA (SSD).
Son père, le fondateur de l’entreprise, a obtenu de la part de Theodor Heuss la Croix Fédérale du mérite première classe, il a reçu lui-même une médaille de la part du SED de Walter Ulbricht. Porst : « Je ne sais pas laquelle ».
Au début, il était gênant pour la branche professionnelle, qu’il a malmené en cassant les prix. Ensuite, comme ses égarements devenaient évidents, il est devenu gênant pour toute la République Fédérale."
Depuis octobre, une enquête est ouverte contre lui au Ministère public fédéral à Karlsruhe - sur la base de soupçons de trahison de par ses relations avec le MfS. Si ce délit est reconnu, il encourt une peine de prison de cinq ans.
De véritables histoires d'espionnage apportent chaque année aux Allemands, leur lot de sensations : Ainsi en 1960, lorsque Alfred Frenzel, député SPD au Bundestag, a été démasqué comme agent des services secrets tchèques, et en 1967, quand le lieutenant-colonel Jewgeni Jewgenjewitsch Runge, alias Kurt Gast, des services secrets soviétiques, résident en Rhénanie, fit défection et passa à l'ouest.
Les changements de bord politique n'ont cessé - ainsi le député CDU au Bundestag Karlfranz Schmidt-Wittmack en 1954 a choisi la DDR de même qu'en 1961, le professeur Walter Hagemann de l'Université de Munster.
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Photo-Porst en double exposition |
Une affaire Est-Ouest de l'ampleur de celle de Otto John n'est arrivée qu'une seule fois : L'ancien Président de l'Office Fédéral de Protection de la Constitution est soudainement réapparu librement à l'Est en 1954, ainsi qu'en a conclu la Cour Fédérale, et non pas enlevé comme a persisté à le dire Otto John.
Mais le cas Porst ne correspond à aucun de ces cas. Hannsheinz Porst ne se considère pas comme un espion, ne voulant pas fuir en Allemagne de l'Est, étant ainsi l'opposé de Otto John, et ayant toujours passé la frontière librement.
Cela rend le cas Porst spectaculaire : qu'un millionnaire se révèle être un marxiste, et remette en question les schémas de pensée devenus si chers à l'opulente société ouest-allemande. Si le gouvernement de Bonn ne peut même plus se fier à ses millionnaires, à qui le peut-il ?
Indépendamment de la question de savoir si Hannsheinz Porst a été trop loin et a violé les règles de protection de l'état, il émet des doutes quant à la classification confortable selon laquelle l'Est est l'Est et l'Ouest est l'Ouest et qu'une des deux républiques est mauvaise et l'autre bonne.
Un homme qui a servi aux allemands un plat de lentilles (d’appareil photo bon marché) et dont l’entreprise, malgré des crises lourdes, s’est transformée en un important groupe de sociétés (valeur aujourd'hui : 107 millions de marks), provoque ce choc.
Appartiennent à ce jour au groupe :
- › Photo Porst KG à Nuremberg, la maison-mère avec la vente par correspondance et 51 magasins (Le chiffre d'affaires annuel en 1966/67 : 59 millions de DM);
- › Eurocop GmbH à Nuremberg, eine Großkopieranstalt (CA: 8,5 millions de DM);
- › Maul+co à Nuremberg,10ème plus grosse société ouest-allemande d'héliogravure (CA :46 millions de DM);
- › Brillen Porst GmbH à Cologne, avec 10 magasins d'opticiens à Cologne et Dusseldorf (CA : 46 millions de DM);
- › Radio und Television Verlag GmbH à Nuremberg, qui imprime l'encart des programmes TV de 199 journaux quotidiens, avec un tirage hebdomadaire de 1 700 000 exemplaires (C.A.: 3 millions de DM)
- › ex data GmbH à Nürnberg,un centre d'informations pour les petites et moyennes entreprises (C.A.: 6 millions de DM)
- › Fernseh Porst GmbH & Co. KG à Hamburg avec 5 magasins spécialisés Phono (C.A.: 2,5 millions de DM);
- › Porst Wohnungsbau oHG à Nuremberg, société qui gère 550 appartements appartenant à l'entreprise (revenu locatif 1967: un million de DM).
Les convictions politiques du propriétaire majoritaire ne furent jamais une gène pour le redressement de ce groupe, pas plus que sa vie privée avec son épouse Luise et ses enfants : Johannes, 24 ans, Matthias, 21 ans, Caroline, 13 ans, et Markus, 6 ans.
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Porst, ami du FDP, pour un don durant la campagne électorale. |
Hannsheinz Porst vit comme les autres, dans une villa avec huit chambres, sur une terrain de 5 800 m², près du zoo de Nuremberg. Il s'entoure, comme d'autres des signes d'une vie aisée : commode baroque, sauna dans la maison, cabane et barbecue dans le jardin. Et il se permet, comme d'autres, une petite marotte, un enclos à faisan, qu'il appelle en se gaussant, l'"écurie de l'homme de la rue".
Ses plaisirs privés sont ceux d'un monsieur tout le monde, classique. L'"esthétiquement beau de la nature" le pousse vers la montagne et la randonnée.
Porst aime photographier, de préférence avec le "Rolleiflex".
Et il va à la pêche, mais pas "pêcher", parce que pêcher est « mouiller un ver » alors que lui se promène six kilomètres le long de l’eau à la chasse aux truites et ombres.
Et encore : rien n'est conforme dans la vie de cet homme. Son style de vie est en conflit avec ses idéaux de vie, sa réussite économique avec sa définition du succès, ses ambitions politiques avec le statut social. Il se considère comme une personne modeste où des sandwiches et le luxe ne se comparent pas. Mais le jeune entrepreneur qui sympathise avec l'ouvrier et le paysan derrière l'Elbe, pilote un bimoteur "Queen Air" (1,2 millions de marks), et a une maison en Suisse.
La contradiction s'exprime dans son aveu : "J'aime autant manger une soupe aux légumes que des huîtres."
Il se lève à six heures du matin, et souvent il travaille 20 heures par jour. Il dirige son entreprise avec des méthodes de management à l'américaine, il admet: "J'aime avoir du succès et j'en ai besoin."
Mais pour lui, savoir à qui profite ce succès - à lui-même, Porst, ou à une entreprise nationalisée - n'a aucune importance. Il aimerait autant, comme il dit, diriger les imprimeries centralisées de la RDA que son imprimerie maul+co à Nuremberg. Et il aimerait "bien plus être un PDG salarié dans une grande entreprise qu'un petit entrepreneur".
Il n'est pas seulement ému par la prospérité de l'entreprise ("Ce serait trop peu"), mais surtout par les contacts liés avec des personnes qui, ensemble, prennent plaisir avec moi à ces choses-là, par la compréhension réciproque.
Sa vision du monde est une utopie socialiste, une tableau idyllique. Il rêve d'un temps plus ouvert sans fronts idéologiques, et sa plus chère lecture est celle des expertises futuristes, les écritures sur l'avenir des gens. Il estime que son plus grand luxe est que chez Photo-Porst, tout n’est pas fait selon le coté rationnel, mais aussi en fonction de l’émotionnel, pour les gens.
Et son image de soi se reflète dans la devise : "Le passé m'ennuie, le présent m'est important, mais l'avenir me fascine."
Si l'actuelle incertitude qui pèse sur l'avenir de Porst est certainement fascinante, son passé, lui, ne fut jamais monotone.
Le père, Hanns Porst, âgé aujourd'hui de 71 ans, a abandonné à l'âge de 23 ans sa confortable place de greffier municipal à Nuremberg pour mettre toutes les économies (600 marks) dans un magasin de photographie et attirait les chalands grâce au slogan: "Qui photographie, profite plus de la vie."
Lors de cours du soir gratuits, il enseignait à sa clientèle comment photographier. Le nom de Porst devint populaire, et très vite l'ancêtre ajouta à sa boutique de photos un service d'expédition - le tout devint en 1939 le "plus grand magasin de photo au monde" (slogan publicitaire), employant 450 employés.
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La famille Porst : Carte de noël de la famille Porst en 1967. Depuis la gauche : Luise Porst, née Wild, Johannes, 24 ans, Caroline, 13 ans, Markus, 6 ans, Hannsheinz Porst, Mathias, 21 ans et le chien Ringo. |
La carrière du fils n’était pas plus exceptionnelle que celle du fils d'armateur qui, à la demande de son père, ne pourra diriger les navires qu'une fois qu’il aura été garçon de cabine. Hannsheinz Porst aurait dû être un ingénieur. Il est passé par le lycée de Nuremberg, a achevé un apprentissage d’outilleur, mais la guerre a modifié ses plans. Il a perdu, le dernier jour de la guerre, la vue de son œil gauche à cause d’éclats d'obus.
Le magasin et le centre d'expédition se retrouvaient sous les décombres. Mais à Artelshofen, en Franconie, où le jeune Porst se retrouvait bloqué avec son épouse, il développait son instinct d'entrepreneur. Ensemble avec l'imprimeur Hans Maul, il fonda l'imprimerie maul + co. - avec un opportuniste programme de production, les papiers à entête des agriculteurs.
Mais ils ne pouvaient pas imprimer, car il n'y avait pas de licence. Il y avait seulement la possibilité de faire de la reproduction. Il était indispensable d’avoir
un appareil de reproduction. Porst : "Mais nous avons eu seulement un appareil photo ordinaire. Je l'ai échangé contre une truie, puis la truie est parti pour un appareil de reproduction, et donc cela m'a apporté 50% des actions de la société ..."
Trois poules ont inspiré l'entreprise. Leurs oeufs fournissaient le blanc d'oeuf avec lequel devaient être recouvertes les plaques Rotaprint. C'est aussi la nature qui fournissait le reste. Comme il manquait des lampes à quartz pour l'éclairage, "nous sortions pour l'exposer au soleil puis nous revenions à l'intérieur".
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La Croix Fédérale du Mérite de Porst |
En 1948, quand les Porst purent rouvrir leur commerce de photos, le fils devint propriétaire de l'entreprise. Il s'ensuivit une croissance rapide (selon le vice-président Dieter Reiber, 41 ans). En l'espace de 10 ans, le chiffres d'affaires d'avant-guerre fut multiplié par 10. Sur 75 000 m² en périphérie de la ville de Nüremberg se développa une imprimerie d'héliogravure et sur un territoire de 60000 m² un lotissement d'habitations pour les employés. Aujourd'hui : 2 300.
La base de la réussite fut le fichier des 130 000 adresses de clients de la vente par correspondance, sauvé des décombres. Ces anciens clients, puis tous les suivants répondant à l’appel de Porst, allaient voir le monde à travers le viseur.
Il s’adressait familièrement aux allemands ( Lettre publicitaire : « Comme nous l’évoquions la dernière fois avec mon père .. ») et encourageait les consommateurs à acheter (Lettre publicitaire : « Si vous ne commandez pas cette fois, je vais manger mon chapeau »)
Il attirait les clients avec des catalogues brochés et d’attrayantes conditions - aucun dépôt, jusqu'à 24 versements.
Mais au début des années 60, au moment où Porst Junior reprenait seul la gestion, survint un coup dur. Les concurrents qui avaient souffert pendant des années des méthodes de vente agressives de Porst, prenaient désormais Photo-Porst de vitesse. Alors que Porst devait imprimer dans ses catalogues les prix fixés par les fabricant, les revendeurs appliquaient une réduction de 15%. En deux ans, le chiffre d'affaires de Porst reculait de 80 millions de marks (1960) à 30 millions (1962).
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Le premier magasin Porst |
Au printemps 1962 les deux banques bavaroises (Bayerische Staatsbank et Bayrerische Vereinsbank) de Munich posèrent un ultimatum à l'entrepreneur de Nuremberg : remboursement de l'emprunt de 16 millions de marks sous quelques jours.
Pendant toute une nuit, le père et le fils concoctèrent un projet d'assainissement. Puis Hannsheinz Porst alla à Munich pour calmer les banques avec un plan de financement qui prévoyait le remboursement total de la dette en 12 mois. Les banques se tinrent tranquilles - et reçurent leur argent ponctuellement pendant 9 mois. Puis le reste de la dette fut pris en charge par la BfG de Francfort (Banque pour le développement de l'économie).
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J'aime manger la soupe... |
La rénovation a été rendu possible parce que Porst a changé radicalement de politique. Il a négligé la vente par correspondance et a mis en place une chaîne de magasins, souvent situés en face de revendeurs photos, qui offraient des petits prix attrayants.
Il n’a plus acheté seulement des appareils de marque allemande, mais aussi des appareils de marques étrangères, vendus sous le nom de « Porst ». Sa marque propre lui a permis de fixer à volonté ses prix de vente.
Quand il vendait des produits nationaux, il cassait régulièrement les prix. Ainsi, il a proposé grâce des intermédiaires, le petit appareil "Agfa Optima" à 95 DM au lieu du prix recommandé de 189 DM. Agfa l’a supprimé de la liste de ses clients.
Lorsque des années plus tard, Porst fit l'acquisition de films inversibles couleur à un prix réduit de 27%, cela lui valut une amende de 150 000 DM.
Dans les hauts et les bas de la société Porst, l'on peut noter l'incident suivant : le 13 mai 1964 le PDG de l'entreprise fut arrêté à l'aéroport de Nuremberg en Allemagne. Accusé de fraude fiscale, il déclara : « je pensais ne rien faire de mal ». Il transférait les remises fournisseur sur un compte en Suisse au lieu de les enregistrer sur ses comptes Pertes et Profits.
Porst fut libéré contre une caution de huit millions de DM (la caution la plus élevée jamais versée dans l'histoire juridique allemande). Le verdict n'est tombé que l'année dernière : amende fiscale d'un montant de deux millions de deutsche mark et supplément d'impôts de 9,5 millions de deutsche mark. Porst déboursa d'emblée 6 millions.
Hannsheinz Porst supportait la détention provisoire, se rappelant les paroles de son père « Ne penses pas aux grilles, ni à la porte fermée. Apitoie-toi sur le sort du gardien qui est en prison à vie. » Le vieil homme parlait d’expérience. Il avait purgé une peine de prison sous les nazis parce qu’il n’avait pas indiqué les réserves de charbon, il avait fait de la cabane sous les Américains pour avoir donné des réponses ambiguës aux questionnaires de dénazification.
La tradition familiale Porst de parfois désobéir aux autorités reste vivante chez Hannsheinz Porst. Comme il a mis en colère les fournisseurs en ne respectant pas les prix fixés, il s'était attiré les foudres du contrôle fiscal avec une comptabilité simple, comme il avait déjà, en tant qu’officier de DCA, provoqué la colère de la Wehrmacht, en tirant des grenades vers le ciel, lors d’une grosse attaque sur Nuremberg, contrairement aux instructions d’économiser les munitions. Sanction : combattre les blindés sur le front.
Les Porst se consacrent avec ferveur à leurs diverses entreprises entre de telles explosions de rage (le père Porst s’écrie : „Nous ne sommes pas des abrutis, nous sommes des hommes“). Ces dernières années, Hannsheinz Porst a mis au point un système de management efficace qui est tout à fait inhabituel dans des entreprises de taille relativement modeste, du moins en Allemagne.
Chacune de huit filiales de Porst travaille indépendamment et présente un plan quinquennal détaillé (sur les prix, le personnel, les investissements, le financement, les chiffres d'affaires et les bénéfices). L'exécution de ce plan est contrôlée par an une fois par le chef de consortium. En dehors de cela, il reçoit sur son bureau des documents signalant tout écart supérieure à cinq pour cents. M. Porst déclare : « Cela m’épargne 85% de travail ».
La rationalisation, l'amélioration des performances, le succès - excitent Porst, comme les autres entrepreneur. Mais pour Hannsheinz Porst la réussite ne signifie pas seulement de faire du profit. « Le profit c’est de l’argent » dit-il « mais l’argent seul ne peut pas rendre heureux. L’essentiel est d’emmener vers le succès quelque chose qu’on a entrepris. »
Il aime dessiner des maisons, mais en construire ne serait-ce qu'une seule, cela ne l'intéresse pas. Et il donne un exemple : "Concevoir un appareil selon mes propres idées en se faisant plaisir, c'est bien plus beau et plus motivant que le fait qu'il fonctionne parfaitement."
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.. et j'aime manger des huitres : Villa Porst à Nuremberg |
Cette façon de concevoir la réussite de l’homme à succès nurembergeois rappelle la philosophie de vie d’un horloger du moyen-âge tardif qui préfère écouter le tic tac de son œuf de Nuremberg que de vendre cette merveille à un riche marchand. Cela ressemble à la sagesse d’un Beau Brummell, qui voulait poser un regard satisfait sur lui-même devant un miroir, mais non pas être admiré dans les Salons.
C’est la clé pour comprendre le psychisme confus en apparence du marxiste millionnaire Hannsheinz Porst. Ceci peut expliquer pourquoi Porst est parti sur des chemins politiques peu avouables : à la recherche d’un Graal de sagesse politique qui paraît complètement fou dans une Allemagne séparée en deux. Son guide spirituel s’appelait Karl Böhm, et Böhm est communiste.
Böhm, un cousin du dirigeant du groupe, a grandi avec Hannsheinz Porst à Nuremberg. L’héritier de l'’entreprise qui avait 10 ans de moins que son cousin développait à l’époque une affection passionnée pour celui-ci qui se transforma plus tard en une idéologie politique partagée.
"D’habitude", dit Hannsheinz Porst aujourd’hui, "c’est le grand frère que l’on admire, pour moi cela a été le cousin Karl Böhm. » Et : "Il était tout simplement quelqu’un qui avait quelques années d’avance sur moi, avec qui on pouvait parler et dont la façon de penser a dû m’impressionner inconsciemment.
Cela avait profondément impressionné Hannsheinz Porst quand son cousin Karl Böhm, en 1933, avait été interné par les nazis dans un camp de prisonniers. A son retour en 1939, et durant les années suivantes, alors qu'il travaillait pour Photo-Porst,
ils entamèrent des discussions sur Marx et Engels, qui ne cessèrent depuis.
Karl Böhm était l'élément dominant dans la vie de Hannsheinz Porst, il est le personnage clé dans l'affaire Porst. Et un article que Böhm a fait publier en avril 1966 à l'Est dans le "Berliner Zeitung" sous le titre "Ami et ennemi" fait l'effet d'une épître cryptée. Il était inspiré par un série télévisée est-allemande dans laquelle le personnage principal, après un conflit cornélien entre un ami capitaliste et un ami communiste, finit par faire le bon choix en faveur de ce dernier.
A la lumière des convictions de Porst, cette croisade fait l'effet d'un mot entre cousins. Car ces amis, comme l'écrivait Karl Böhm, "se rangent jusqu'à l'ultime conséquence dans des camps qui sont mutuellement hostiles comme l'eau et le feu". Mais la question de savoir "si leur amitié était bonne ou mauvaise ne trouvera pas de réponse au niveau des actions et des sentiments subjectifs. C'est la cause elle-même qui juge de la qualité de leur amitié. Si elle est bonne ou mauvaise, l'amitié sera bonne ou mauvaise qui, au nom de cette cause, voire peut-être sous son mandat, apporte aide et soutien à l'indécis qui cherche dans le no man's land le chemin du bon côté."
Pour Böhm, l'ami de Porst, après-guerre, il ne subsistait aucun doute au sujet du choix du bon côté. Il a déménagé en 1946 en l'Allemagne de l'Est. Et là, il a fait sa carrière dans la politique comme journaliste. Böhm a été employé du Comité central du SED, puis chef adjoint du Département de la littérature et de l'édition au Ministère de la Culture de la RDA. Il a écrit un livre "L’espace, la terre, l'homme", qui a été remis aux jeunes citoyens de la RDA lors de leur Jugendweihe (sorte de confirmation civile, à l’âge de 14 ans), et il a obtenu pour ses efforts littéraires le prix national de troisième classe (décoration de la DDR).
Ce citoyen méritant de l'Etat des ouvriers et des paysans reçut la visite de HannsHeinz Porst, citoyen méritant de
l'Etat des capitalistes et des consommateurs, régulièrement à partir de 1947. Böhm lui a fait rencontré des gens de la Stasi. Porst a voyagé une bonne douzaine de fois à l'Est, parfois chez le cousin Böhm, parfois chez le général de la Stasi Maarkus Johannes Wolf, parfois à Moscou ou à Budapest, où il a rencontré des proches de Wolf. Hannsheinz Porst était utile aux hommes du renseignement est-allemand, pour rajuster l'image des conditions politiques et sociales dans la République fédérale qui était constituée d'une mosaïque d'informations et de rapports d'agents.
Grâce à ses engagements politiques dans les partis de l'ouest, à sa connaissance des principaux politiques du FDP, il se croyait prétendument à même de rendre les analyses du service secret est-allemand plus conformes à la réalité. En outre, ce voyageur entre deux mondes débattait nuit durant avec les amis du parti du SED sur le socialisme, le communisme ou le léninisme et de la réalité politique.
Au milieu des années 50, la visite en retour est arrivée : Alfred Pilny, soit disant réfugié de la RDA, mais en réalité agent de la Stasi, est devenu lecteur dans les imprimeries Porst. Pilny, 50 ans aujourd'hui, était spécialiste des langues anciennes et avait travaillé dans un département du Ministère de la Culture de la RDA, dont Karl Böhm était Directeur Adjoint. A l'Ouest, il fut membre du FPD, et a été momentanément précepteur des enfants Porst. Il relança les contacts entre ses employeurs de l'est et de l'ouest.
Pilny ne s'est pas montré assez compétent dans la compréhension des relations politiques. La Stasi de Berlin-est a envoyé un agent plus sage, il se nommait Il se nommait Hans-Kurt Findeisen, vivait à Oberschleissheim près de Munich, et travaillait comme comptable chez MAN.
Elle envoya un troisième homme : Peter Neumann, 46 ans. Il a travaillé à partir de 1952 chez Porst et est devenu en 1954 le secrétaire personnel, puis prit en 1960 des intérêts personnels en Suisse chez Porst. Entre les deux, il s'est développé une relation similaire à celle entre Porst et le cousin Böhm.
Ce "quator", comme l'appelle le procureur général, a éclaté avec l'arrestation de Pilny, le 19 octobre dernier. Findeisen avait disparu lorsque les policiers de la Kripo sont arrivés. Neumann s'est présenté spontanément au parquet fédéral. Le mandat d'arrêt contre lui n'a pas été mis à exécution. Il pourrait retourner en Suisse aussitôt après avoir fait déposé.
Porst a appris par hasard l'arrestation de Pilny, en voulant récupérer un livre chez lui.
Mme Pilny lui montrait le mandat d'arrêt, et Porst l'a su à ce moment-là, comme il dit : "qu'on me demanderait maintenant quelque chose, mais je ne m'attendais pas à une arrestation."
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Porst senior (1). Après 52 jours de détention préventive ... Le père de Hanns placarde une affiche dans son usine, annonçant la libération de son fils. |
C'est arrivé le 24 octobre. Alors que Porst quittait le bureau du Dr. Henny Schmidt-Schencke - spécialiste en psychiatrie et psychothérapie - et ouvrait la porte de sa voiture, "une armoire à glace s'est approchée et m'a dit : "Monsieur Porst, puis-je vous parler s'il vous plaît ?" Je lui répondis : "Oui, allons à mon bureau". L'armoire à glace : "Non, allons au mien'".
Ce fut au siège de la police. Là, un juge lui a lu le mandat d'arrêt alors que des policiers fouillaient son appartement personnel. Ils ont recueilli des cassettes, des notes, un vieux calendrier, en présence de Mme Luise, qui n'a appris l'activité politique secrète et l'appartenance au SED de son mari que lors de l'arrestation de celui-ci.
Après 52 jours de détention provisoire (Porst: "Pour un peu, j'aurai trouvé cela presque parfait"), il a été libéré sous caution (un million de DM). Le ministère publique fédéral publiait au sujet du procès : "Activités séditieuses dans le but de recueillir des renseignements politiques confidentiels pour le ministère de la sécurité de Berlin-est."
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.. contre un million en liberté. Porst junior à sa sortie de prison. Lors de son retour aux affaires, Hannsheinz est accueilli par un membre du conseil d'administration. |
Bien sûr, "activité séditieuse" est une notion très large, c'est en tout cas moins grave que la trahison, pour laquelle il y a la prison, et c'est en tout cas plus qu'un simple échange impuni de points de vue sur les problèmes Est-Ouest tel que les visiteurs ouest-allemands de la foire de Leipzig le pratiquent. La question décisive pour l'issue du procès sera en fin de compte de démontrer que l'entrepreneur Porst, sur l'activité duquel le ministère public fédéral n'a jusqu'à présent pas donné de détails, avait conscience d'agir en toute illégalité.
Sans aucun doute, Porst savait que ses interlocuteurs à l'Est étaient des agents de la Stasi. Il savait que Pilny et Findeisen étaient des agents professionnels.
La question centrale est de savoir si le but recherché, selon ses dires, par ces rencontres, à savoir le rapprochement Est-Ouest et vice-versa, l'empêchait de réaliser que la RDA était un Etat de non-droit.
Porst pense qu'il pourrait s'en tirer sans dommage, peut-être même sans audience, pour lui-même et son entreprise. Certes les autorités de Berlin, après l'arrestation de Porst, ont annulé la licence de la société Eurocop GmbH, du groupe Porst, de photographier dans les écoles et les jardins d'enfants. Certes un ouvrier d'Essen a démoli une vitrine du "traître". Mais l'entreprise est en plein essor, mieux qu'avant la nouvelle affaire Porst. D'octobre à décembre de l'année dernière, alors que l'entrepreneur était en garde en vue, les allemands ont dépensé 48 millions de DM chez Porst pour des biens et des services, soit 20% de plus que le dernier trimestre de l'année précédente. Photo Porst et Eurocop ont augmenté leurs ventes de 40%. Hannsheinz Porst: "Un excellent trimestre."
La "Bank für Gemeinwirtschaft" qui avait fait un crédit de 6 millions de DM à l'entreprise, a déclaré la semaine dernière : "Nous ne voyons aucune raison de changer de décision sur l'octroi de prêts. La situation économique de l'entreprise de Nuremberg est considérée comme positive".
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Agent Pilny, tuteur de la Stasi |
Et Porst ne pense pas à vendre, bien qu'il veuille retourner en RDA dès qu'il y sera autorisé. Mais en République Fédérale, il se sent à la maison. "Je crois toujours que la République Fédérale est un pays où les pensées différentes de la ligne officielle, peuvent être prises en compte. "
Maintenant Porst n'a plus de parti. Il a devancé une éviction du FDP en démissionnant. Le jour même, dans une lettre à son cousin Böhm il renonçait à son affiliation au SED, ce qui était légalement interdit.
Il n'est pas condamnable en RFA du fait de son adhésion au SED. Il en serait tout autrement s'il avait un grade officieux dans la Stasi de Berlin-est comme l'a publié la semaine dernière "Die Welt". Porst : "N'importe quoi !".
Qui est-il : un somnambule entre l'est et l'ouest, un marxiste pur et dur dans la République fédérale, un courageux allemand de bonne volonté ou un commerçant qui voulait prendre une réassurance - le bon sens populaire des Allemands, dont on connaît les conséquences fatales, préfère sans doute la dernière catégorie, la plus commode.
Un homme qui est aussi marxiste et millionnaire lui a rendu hommage. Jean-Paul Sartre a envoyé la semaine dernière un exemplaire de son livre "L'âge de raison" et l'a dédicacé "Pour Hannsheinz Porst,
dont je connais la position courageuse, avec ma sympathie la plus profonde."
Je suis millionnaire et marxiste
par Hannsheinz Porst
Article du Spiegel de 1968
C’est vrai, je suis millionnaire et marxiste. J’étais un membre du FDP (Freie Demokratische Partei - parti libéral de RFA) et parallèlement, je faisais partie du SED ( Sozialistischen Einheitspartei Deutschlands - Parti socialiste unifié d'Allemagne, c'est à dire le parti communiste au pouvoir en RDA). J’ai donné de l’argent pour la campagne électorale du FPD, et en même temps, j’ai payé mes cotisations au SED. Je vis ici, et je participe au débat politique.
Est-ce que cela se contredit ? Je ne crois pas.
Je ne souhaiterais pas parler du ‘Déclin de Porst’, mais de moi. Je suis de Nuremberg. C’est ici que se trouvait la société de mon père, c’est ici que j’ai grandi. Les jeunes gens ont un enthousiasme surdimensionné, ce n’est pas un manque, c’est une nécessité. Normalement, c’est le frère aîné que l’on admire, chez moi, c’était le cousin Karl Böhm.
Il ne s’agit pas d’une dispute de jeunesse dont Karl aurait été l’objet. C’était quelqu’un que j’avais connu quelques années auparavant et avec lequel on pouvait parler, et dont la façon de s’exprimer m’avait inconsciemment impressionnée.
Un jour, le cousin Karl disparut, les Nazis l’avaient interné à Dachau, car il était communiste. J’avais onze ans à l’époque, et lui vingt et un. Tout ce que cela signifiait m’était difficilement envisageable. Il m’était difficile d’admettre que quelqu’un de mon propre entourage ait risqué sa vie pour ses convictions. La situation était tout simplement incompréhensible et l’on ne devait pas en parler.
Après six ans de camp de concentration, on le relâchât grâce au témoignage de mon père Hanns Porst en sa faveur et à la promesse de l’accueillir dans son entreprise. Mon père n’était pas un homme engagé, mais était capable de reconnaître un ‘homme bien’ quand il le voyait. Cela ne l’effrayait pas de côtoyer quelqu’un aux idées non conventionnelles ni du qu’en dira-t-on.
De mes contacts avec l’Allemagne de l’Est et de toutes ces années, il n’en a rien su. Cela m’a enseigné ce que l’on doit faire et ce que l’on pense être vrai. Si j’avais pu tout lui dire, il en aurait été étonné, mais je devais lui mentir … On ne peut pas, malheureusement, tout épargner à ses parents.
Karl était de retour, mais de cela on ne devait pas en parler, encore moins qu’avant. Ensuite, je fus le seul à partir à la guerre. En 1941 je fus enrôlé comme opérateur radio et ensuite officier dans l’artillerie antiaérienne, puis engagé dans l’armée de terre pour combattre les chars russes. J’ai été blessé le dernier jour de la guerre à Berlin.
Karl avait aussi surmonté beaucoup de choses dans sa vie. Il avait survécu à la guerre dans un bataillon disciplinaire. Nous nous rencontrâmes de nouveau à Berlin. Enfin, nous pouvions parler de tout.
Je croyais à l’époque que cela aurait été mieux si nous avions gagné la guerre. Böhm avait une autre opinion. Ce n’était pas un fanatique, il était trapu et heureux portant des culottes de cuir traditionnelles. J’apprenais de mon cousin que l’on peut vivre des conflits sans devenir ennemis.
Deux conditions étaient essentielles, une grande ouverture d’esprit et une confiance non entachée par la peur. Cet apprentissage n’était pas encore acquis. Nous parlions à l’époque des nuits complètes, comme tout le monde, et je comprenais pourquoi Karl Böhm ne reniait pas ses idées politiques. J’étais sûr qu’il avait eu raison de résister, même si cela paraissait insensé.
Comme tous ceux de notre génération, nous ne voulions pas seulement changer notre propre situation, mais la situation de notre pays, parce que maintenant tout devait changer. On ne pouvait, après ce qui c’était passé, faire comme si de rien n’était.
La plupart des gens avaient compris que l’on ne devait pas se laisser forcer à aller au front. Nous étions presque tous décidés à ne plus jamais avoir une arme dans la main. Nous étions sûr que nous ne pourrions plus jamais nous laisser entraîner par des discours nationalistes. Si Böhm développait ses idées d’une société libre et juste, ce n’était pas uniquement par philosophie, mais par la conviction d’un homme qui avait été persécuté pour ses idées. Il était un des rares qui pouvait affirmer qu’il avait prédit ces événements.
Pour le magasin de mon père en 1945, il ne s’était pas passé grand-chose. Moi et Böhm nous voulions fonder une maison d’édition d’ouvrages de fiction, mais les américains nous refusaient la licence. On savait que les nazis à l'époque avaient des difficultés. Mais Böhm n’obtenu aucune licence parce qu'il était communiste. Un major du Counter Intelligence Corps (CIC) l’avait confirmé. C’était en 1946.
Ce n’était pas le nouveau début que nous espérions, il y avait de nouveau des gens suspects.
Böhm partit dans la zone est, non pas parce qu'il croyait que là-bas tout serait mieux, mais parce qu'il y voyait une meilleure chance de coopérer à la naissance de la nouvelle Allemagne qu'il imaginait. Nous étions sûrs que cela ne pouvait signifier pour nous une séparation pour cette seule raison que les frontières étaient provisoires. L'expérience de la catastrophe était encore trop vivante d'un coté et de l'autre. Nous faisions la paire et avions une très chère facture à payer ensemble.
Je voulais rester ici.
Le magasin de mon père m'attendait, j'étais marié, j'avais des enfants. Je ne restais pas ici parce que je pouvais atteindre une existence agréable. J'avais la responsabilité de prendre la relève dans l'entreprise. Je crois que l'entreprise libérale de style occidental est compatible, pas seulement par intérêt feint, avec les idées de justice sociale et de solidarité humaine. Le drame était qu'on recommencait à séparer dans des secteurs idéologiques un peuple qui parle la même langue et qu'on ne pouvait être chez soi que dans une partie du pays.
Plus tard, j'ai rencontré Karl Böhm. Il y avait des difficultés administratives, mais nous pouvions obtenir des laisser-passer pour la foire de Leipzig. Nous avons encore parlé ensemble plus tard, mais des signes montraient qu'un jour cela deviendrait plus difficile. Après la guerre, nous n'étions pas particulièrement bien habillés, mais on reconnaissait déjà le visiteur de l'ouest aux vêtements, et peu de temps après ce n'est plus seulement les vêtements qui permettait de le reconnaître.
Le pays commençait à se séparer.
Il y a eu de plus en plus de difficultés de communication. Désormais si nous voulions discuter, nous devions expliquer des notions qui auparavant ne nécessitaient aucune explication. Des deux
cotés, nous en savions de moins en moins sur l'autre, l'image était déformée.
Je savais qu'il n'y avait pas seulement des apparatschik de l'autre côté et pas seulement des revanchards de ce côté-ci. Mais il y avait à l'Est, comme à l'Ouest, de moins en moins qui voulaient savoir. Cela m'est devenu clair pour la première fois, lorsque le 24 avril 1954, je rencontrais dans l'appartement des Böhm, à Wandlitz, des fonctionnaires du ministère de la sûreté de la DDR.
Ils avaient réuni des faits isolés dans une mosaïque dépareillée, et ce d'une manière absolument désastreuse, car ces théories devaient influencer aussi leur politique à notre égard. Du reste, la seule explication à cela était que mes interlocuteurs étaient principalement des agents de la sûreté d'Etat, moins du Comité central du SED, car c'était la sûreté d'Etat qui composait les mosaïques qui donnaient, à mon sens, une image fausse de la République fédérale.
Celui qui comme moi, croit qu'on ne peut arriver à une entente qu'en identifiant précisément la situation du partenaire, doit chercher, dans son propre intérêt, à donner une image claire de sa propre situation aussi à son partenaire. Cela avait peu de sens pour moi de mener des discussions bien intellectuelles ; je voulais parler avec des gens qui étaient importants dans la réalité politique de la RDA.
Et je suis rentré en contact pour la première fois avec l'appareil politique de l'autre côté. Pour que mes discussions soient utiles, je devais y inclure la RFA, parce qu'il n'était pas seulement question de dissuader mes interlocuteurs d'idées fausses. Je voulais aussi essayer ici modestement. Pour cela j'avais besoin d'interlocuteurs; je rejoignis le FDP.
Après que je sois rentré au FDP en 1955, j'ai demandé mon affiliation au SED. Ce n'était pas une contradiction pour moi, mais un préalable réaliste pour ce que Thomas Dehler a appelé dans un autre contexte "pénétrer le rideau de fer".
Au premier abord, cela peut sembler inconciliable. D'un coté, un parti a nationalisé tous les moyens de production, et de l'autre, un parti mène une politique pour l'entreprise. Pourtant, pour moi, il y avait une zone étroite dans laquelle je voyais la possibilité pour les deux partis d'oeuvrer ensemble. SED et FDP, je voulais être pris au sérieux des deux cotés.
Il m'était clair que je ne pouvais influencer seul les relations des deux états, aussi j'allais vers le FDP, car il y avait une chance qu'au sein de ce parti existent des personnes voulant mener une politique s'éloignant des slogans officiels. Ainsi, je soutenais ce parti.
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Le cousin Böhm : "Ensemble, un projet cher" |
Naturellement que je ne pouvais pas attendre de la part du FPD la mission de négocier de l'autre coté. Ce ne fut jamais le cas. Si j'avais joué cartes sur table au sein du FDP, j'aurai été aussitôt isolé, juste à cause de mon appartenance à la SED. Je serai alors arrivé à la situation d'avoir des interlocuteurs seulement de l'autre côté. Ensuite, toute tentative de médiation aurait été vouée à l'échec.
Je me suis parfois demandé s'il était bien réaliste de vouloir influencer votre propre politique. C'est pourquoi ça n'allait pas. Je ne pouvais pas changer la grande politique. Ce qui m'importait vraiment, ce n'était pas plus, mais aussi pas moins, que de laisser ouvert un trou dans le mur qui avait été construit des deux côtés.
Il n'a jamais été question de secrets d'Etat, bien au contraire. Il y avait un accord sans ambiguité entre les partenaires, comme quoi les secrets d'Etat étaient exclus des discussions. Les plans d'avions, les photos de ponts secrets, la transmission d'informations concernant des agents secrets, l'espionnage de secrets militaires ou la transmission des plans de défense de Bonn, tout cela n'était pas dans mon jeu; pas plus que je n'ai apporté de plans de manoeuvre ou des codes d'agents de là-bas.
Je savais que mes interlocuteurs appartenaient au ministère est-allemand de la sûreté de l'Etat. Qui étaient ces gens ?
Le Generalmajor Markus Johannes Wolf aurait été un mauvais choix dans une affaire d'espionnage. Il pouvait être cordial, d'une manière distancée et n'avait pas peur de discuter d'idées, même si elles ne faisaient pas partie du répertoire officiel. Le même âge que moi, costumes bien coupés, pas sans humour. Je dois dire en plus qu'ils n'étaient pas tous ainsi.
C'est vrai que j'ai été décoré de l'Ordre. Je me rappelle de la cérémonie. Nous sommes tous légèrement maladroits
dans ces situations. C'était pour ainsi dire une démarche administrative après dix ans d'affiliation. Quand je m'en allais, l'ordre disparaissait dans un coffre à Berlin-Est. Depuis, il y en a eu un autre.
Les dîners en commun étaient raffinés, même sans présence féminine. En RDA aussi, il y a comme une idée de prestige. Des signes trop rares d'une parenté. Nous n'eûmes pas toujours des débats amicaux, je n'émargeais pas au Ministère de la Sécurité d'Etat.
Vous savez très bien que je n'ai jamais eu l'intention de nuire à l'un des deux états,
mais de les servir tous les deux, aussi modeste ma contribution fut-elle.
Dois-je vraiment faire face à l'accusation de trahison ? Je ne pense pas.
L'autre question : est-il logique d'être millionnaire et marxiste ? et si oui, pourquoi ? Un millionnaire ne peut-il être marxiste ou un marxiste ne peut-il être un millionnaire ? Comme si les convictions d'un homme était en relation directe avec son compte en banque !
Est-ce que cela ne doit pas donner à penser ?
N'est-ce pas un indice que le conditionnement mental que nous supposons toujours à l'est a aussi progressé chez nous? où se trouve-t-il écrit que je ne peux pas avoir la responsabilité d'une grand entreprise en RFA et mener simultanément de l'autre coté les discussions que j'ai conduites ?
J'ai peur, d'après mes expériences récentes, lorsque j'imagine la façon dont doivent se dérouler les négociations attendues entre les deux états. Nous y sommes très mal préparés.
Le quotidien triste de Dresde me déplait, tout comme les drapeaux rouges et les mots d'ordre du parti. Mais qu'avons-nous réellement su de l'autre côté ? Pendant des années, que du rationnement, et plus récemment des progrès économiques. Entre temps, la DDR semble être devenu acceptable : elle a eu des succès que nous mesurons suivant nos critères.
On me reprochera que mes millions m'ont empeché d'aller là où mes convictions sont reconnues officiellement. Cela semble si simple. Mais je ne suis ni stalinien, ni l'homme d'Ulbricht. Je suis chez moi en RFA et je suis marxiste.
Je sais qu'on me demandera comment en tant que marxiste, j'ai pu aider les deux systèmes politiques. Cette question vient du malentendu courant que le marxisme est une religion d'état. Je sais que les marxistes d'un coté comme de l'autre, ont des difficultés.
Je suis chez moi en RFA, même avec mes opinions. Je crois toujours que l'Allemagne de l'Ouest est un pays dans lequel les idées qui diffèrent des normes officielles doivent aussi exister. Je prends la liberté de fréquenter l'extrême-gauche, alors que celle de fréquenter l'extrême-droite est redevenue depuis longtemps convenable.